Recherche
Pour nous joindre
alain.bollery@orange.fr
SMS au 06.98.82.18.88
> BOURGOGNE - FRANCHE-COMTE > BOURGOGNE - FRANCHE-COMTE
10/03/2025 03:16
9529 lectures

Bourgogne - Franche-Comté : Le «Testament» de Christian Decerle, président de la Chambre Régionale d'Agriculture

«À l’attention des Paysans et à toutes celles et tous ceux qui souhaitent réellement les soutenir et les défendre»... Alors qu'il va quitter la Présidence la Chambre Régionale d'Agriculture de Bourgogne - Franche-Comté, Christian Decerle, éleveur, livre une tribune en forme de Testament. Avec la franchise qu'on lui connait.
Les États-Unis d’Amérique ont récemment choisi leur Président. Ses dernières déclarations font trembler le monde. L’Europe s’inquiète !
La sécurité et le « vivre ensemble » que garantit l’Union Européenne, elle-même construite sur des valeurs aussi essentielles que la paix, la démocratie, la liberté, l’égalité, semblent subitement plus fragiles.
Les politiques européennes, fruit de l’histoire d’après-guerre, et dont la construction aura été intimement liée à la personnalité, à la clairvoyance, à la solidité de dirigeants et aux valeurs qui les animaient, reprennent pleinement leur sens.
Dans ce contexte chargé de légitimes inquiétudes, notre souveraineté agricole et alimentaire constitue l’une des grandes politiques fondatrices de la communauté économique européenne. Elle s’impose, à nouveau, comme un véritable choix stratégique, au même titre que les souverainetés énergétiques, médicales, de sécurité et de défense... L’Europe mesure brutalement les conséquences du retard pris dans ces différents secteurs.

L’impérieuse et absolue nécessité d’agir !
Davantage encore dans ce contexte, les dirigeants politiques de toutes sensibilités ne peuvent différer ou fuir les arbitrages qui leur reviennent sur les « sujets qui fâchent ». Qu’il s’agisse de compétitivité, de coût du travail, d’explosion des normes, de surtransposition, ou encore de prédation qui n’est en rien un indicateur de la biodiversité mais qui condamnera à coup sûr l’élevage, le risque est évident d’accroître l’amertume et le découragement du monde agricole2. Amertume qui s’est récemment exprimée lors des dernières élections par l’abstention ou par des choix qu’il convient d’analyser finement, et qui ne peuvent qu’interroger l’ensemble de la profession.
De façon indiscutable, et parfaitement connue, nous reculons d’année en année en volume et en compétitivité sur la quasi-totalité de nos productions agricoles. Plus que jamais, nous avons besoin des Paysans. Nous devons prendre soin d’eux en les écoutant et en les respectant réellement.
Le nombre d’agriculteurs décroît dangereusement, et de façon inquiétante, alors même qu’ils nous garantissent à tous, sur des exploitations familiales, une alimentation de qualité, en quantité, à un prix bien souvent inférieur au coût de production qui malheureusement ne permet pas toujours à leurs familles de vivre décemment.
Notre profession, plus que d’autres, subit les importants bouleversements liés au dérèglement climatique dont elle est particulièrement tributaire. A la fois lucide et préoccupée, elle prend d’ores et déjà sa part et contribue positivement aux enjeux environnementaux. Ce contexte impose une recherche agronomique ambitieuse, dynamique, bénéficiant d’un soutien sans faille de la puissance publique. L’enseignement professionnel, qui doit en permanence s’adapter, aura également un rôle majeur à jouer.
La profession agricole est en quête de légitime reconnaissance, et de sens sur son avenir. Et, il est impossible d’ignorer la réalité des difficultés économiques et morales qui, dans notre pays, frappent de trop nombreuses exploitations avec parfois des conséquences dramatiques.
Les enjeux actuels et futurs pour l’agriculture et pour nos territoires ruraux sont considérables, et y faire face ne peut se limiter à des incantations !

La noblesse et l’impact de l’action collective !
Notre profession a eu la chance de pouvoir compter sur des visions ambitieuses et courageuses grâce à une loyale et saine coopération instaurée entre dirigeants politiques - responsables professionnels, Etat, collectivités...-, eux-mêmes le plus souvent accompagnés par des administrations aidantes et bienveillantes.
Il me revient en écrivant ces quelques lignes le souvenir de plusieurs rendez-vous cruciaux qui auront impacté notre agriculture : les accords du GATT, la chute du mur de Berlin, les grands accidents climatiques, la PAC de 1992...
Mais aussi d’autres évènements qui auront témoigné de la force du collectif agricole, comme la puissance du rassemblement historique du Dimanche des Terres de France ayant réuni près de 300 000 personnes le 29 septembre 19913, ou encore l’appel de Charolles du 9 décembre 1997 mobilisant plus de 6 000 éleveurs.
De toutes ces années, je retiens l’importance, souvent déterminante, de choix et d’arbitrages courageux d’hommes et de femmes politiques, de professionnels, de fonctionnaires... qui auront durablement impacté la destinée de nos exploitations.
Il n’y a jamais de fatalité, et rien n’est jamais le fruit du hasard !

« Notre région porte l’agriculture dans son cœur »
En évoquant la noblesse de l’action collective et de ce qu’elle peut générer de meilleur, je ne peux, comme d’autres, passer sous silence la gestion du FEADER dans notre région depuis son transfert aux Conseils régionaux.
Je me refuse d’accepter, comme certains le font avec fatalisme et résignation, voire indifférence, la façon dont notre Conseil régional gère ici, en Bourgogne-Franche-Comté, les fonds du second pilier de la PAC, déterminants pour notre agriculture et son adaptation aux enjeux de demain.
Dans une région qui de surcroît « porte l’agriculture dans son cœur » : une obligation de résultat s'impose aux élus et à leurs services, comptables de la mise en œuvre des politiques publiques dont ils ont pleinement la responsabilité pour assurer au plus vite les règlements dus aux agriculteurs.
Il n’est pas nécessaire de revenir longuement sur ce dossier que connaissent parfaitement celles et ceux qui s’y sont sérieusement intéressés.
Chacun sait parfaitement que des mensonges répétés ne constituent jamais la Vérité. Et malgré les silences étonnants de certains, il s’agit bien d’un indescriptible échec dont nombre d’agriculteurs concernés resteront les seules victimes, et qui n’a nul autre équivalent en France5.
Les Paysans n’ont pas à payer l’accablante irresponsabilité des élus de cette région, pas plus que celle de leur Administration qu’ils sont censés diriger, elle-même complètement défaillante, enlisée dans une inefficacité à peine imaginable. Et, de surcroît, aux intentions parfois particulièrement ambiguës.
Une telle gestion ruinerait à coup sûr, et de façon certaine, n’importe laquelle de nos exploitations agricoles.
Si certains pourraient être étonnés par la tonalité de ces propos, c’est qu’ils ignorent toutes les arcanes et les coulisses de ce dossier qui ne manqueraient sans doute pas de les surprendre et de les choquer.

Aux jeunes qui s'engagent aujourd'hui et à celles et ceux qui le feront demain
En écho à ces moments qui ont marqué l’évolution de notre agriculture, et avec l’inoubliable souvenir du CNJA, j’aimerais transmettre quelques conseils bienveillants pour encourager tout particulièrement les jeunes qui s’engagent :
Si notre métier peut acter de très belles réussites individuelles, il nécessite néanmoins le plus souvent une organisation collective efficiente. Ne la négligez pas au risque de le regretter amèrement, et de le payer cher.

        ­  Votre engagement compte, n’en doutez pas. Sachez néanmoins l’adapter à vos propres contraintes et à vos disponibilités, que ce soit dans nos organisations, dans votre municipalité, votre com’com’, ou au-delà....

        ­  Conservez toujours le profond respect de vos mandants. Militez pour vos pairs et ne laissez jamais votre engagement s’éloigner de cette préoccupation qui doit constamment guider le sens et les moyens de votre action.

        ­  N’abandonnez jamais la légitimité que vous aurez acquise, et ne cédez rien de votre propre pouvoir d’influence, ni aux institutions, ni aux technostructures.

        ­  Ne négligez pas votre investissement, à titre individuel et collectif, dans la formation et ce, tout au long de votre parcours. Partagez avec d’autres milieux professionnels vos préoccupations et vos espoirs : vous pourrez parfois unir vos forces et ainsi utilement les décupler.

        ­  Rendez fructueux votre investissement et recherchez l’efficacité. Le temps est précieux - et compté -, l’inefficacité décourage et génère des abandons.

        ­  Entourez-vous de personnes de confiance, loyales et compétentes, qui vous conseilleront et vous aideront à atteindre les objectifs que vous poursuivez. Les erreurs sont inévitables et d’ailleurs parfois bénéfiques, si l’on sait en tirer des enseignements.

        ­  Ne vous laissez pas déstabiliser par la critique dans laquelle souvent les plus médiocres excellent.

        ­  Combattez, ou fuyez, la médiocrité, restez ambitieux et force de propositions, gardez toujours votre cap !

        ­  Apprenez à résister aux attaques, et ne reniez jamais ni vos convictions ni vos valeurs.
Nous aurons réussi plusieurs belles réalisations
Ce mandat qui se termine n’aura pas été facile, et parfois certains de ceux qui vous sollicitent font étonnement preuve d’amnésie, et se distinguent par leur absence.
Nous aurons réussi plusieurs réalisations, que vous pourrez découvrir dans le bilan de mandature6. L’une d’entre elles mérite une attention toute particulière : elle repose sur la riche contribution de plus de 2200 agriculteurs, conseillers, opérateurs économiques, associations...
Les travaux « Imaginer demain - Agir maintenant » portent une vision stratégique à 2040 pour l’agriculture de BFC. Conduits avec enthousiasme dans une belle dynamique collective, sous le parrainage de personnalités politiques et scientifiques reconnues, ces travaux proposent et détaillent de nombreuses actions concrètes. Le rapport dense et
complet, soutenu par plus de 50 structures régionales, peut très utilement inspirer et orienter des stratégies d’avenir 7.
Je tourne aujourd’hui la page d’une vie d’engagement, au cours de laquelle, avec d’autres, j’aurai toujours essayé humblement, et inlassablement, d’être utile à notre profession, et, avant tout, aux hommes et aux femmes de la terre.
J’ai la satisfaction, et, surtout, le sentiment du devoir accompli, en laissant notamment dans ce dernier mandat la Chambre régionale d’agriculture de BFC dans une situation parfaitement saine et sécurisée. Un bel outil à la main des paysans, et qui, surtout, doit rester pleinement à leur service, et doit garder concrètement et de manière effective sa mission première d’accompagnement de tous les agriculteurs.
Je retiens le meilleur. Des personnalités et des solidarités marquantes, des relations humaines riches et denses, des dynamiques collectives positives aux retombées bénéfiques, beaucoup de générosité, souvent chez les plus modestes et les plus humbles.
Je remercie très chaleureusement toutes celles et tous ceux qui m’ont toujours soutenu, et qui m’ont permis de maintenir intacte cette ardeur pour défendre un monde Paysan dont je connais parfaitement la résilience, la combativité et les valeurs.
Un monde Paysan qui mérite respect et considération.
Un monde Paysan qui, face à son avenir, aura besoin de dirigeants solides pour une défense sans faille, déterminée et toujours résolument engagée.

Christian DECERLE,
éleveur, Président sortant de la Chambre
régionale d’agriculture de Bourgogne-Franche-Comté


1 Ayant par ailleurs occupé des responsabilités locales et départementales (Président respectivement de son syndicat local, du CDJA71, de la FDSEA71, de la CDA71), régionales (Président respectivement de la FRSEA de Bourgogne, de la CRA de Bourgogne avant la fusion, Coordonnateur du Bassin allaitant Nord Massif Central), et nationales (Secrétaire général adjoint du CNJA, Président de l’IFOCAP, Vice-Président de la FNSEA).

2 https://www.lepoint.fr/societe/salon-de-l-agricul... 2025-2583502_23.php
3 Discours de clôture de Raymond Lacombe le 29 septembre 1991 au Dimanche des Terres de France : https://www.lepoint.fr/societe/salon-de-l-agricul... content/uploads/2022/01/lacombe_raymond_1991_dimanche_terres_france.pdf

4 Mme la Présidente de Région, discours du 26 février 2025 au Salon de l’agriculture, Paris.
5 Note FEADER CRA BFC du 14 février 2025 : https://www.calameo.com/read/002757079a2a2996eb50...

6 https://www.calameo.com/read/002757079516eb588d16...


7 https://www.calameo.com/read/0027570791e3746220fa...