
Celui qui a lancé l’Événement du Jeudi puis Marianne n’avait pas la
langue dans sa poche. Il en avait une paire et il l’a si souvent prouvé.
Kahn qui vient de disparaitre était d’abord un journaliste qui aimait
écrire, dire, raconter, retranscrire, éclairer, piquer, caresser –
parfois – , mais aussi s’indigner. Avec passion et force. Conviction et
arguments.
Il n’avait pas attendu Stéphane Hessel pour s’indigner.
Non il n’était pas le dernier à s’indigner. Y compris quand sur une
radio et dans d’autres médias il martelait avec force que voir les
patrons de la grande distribution figurer dans le haut du panier des
plus grandes fortunes françaises cela le dérangeait. «Car c’est avec le
pognon des gens qui ont du mal à joindre les deux bouts»,
s’indignait-il.
Jean-François Kahn était ainsi. Grande gueule et
grand cœur. Toujours prêt à dire sa vérité qui était parfois, souvent,
la vérité que certains ne voulaient pas entendre. Il avait aussi le sens
de la contradiction. Pour faire avancer le débat.
Celles et ceux
qui l’ont bien connu savent ainsi que dans ses magazines il avait
plusieurs signatures. La sienne. Mais aussi d’autres qu’il avait
inventées. Pour porter la contradiction à ce qu’il avait écrit juste à
côté. Un exercice dans lequel il excellait.
Jean-François Kahn
restera aussi celui qui avait osé lancer deux hebdomadaires. L’Événement
du Jeudi, puis Marianne. Librement. Toujours. Avec passion. Toujours.
Ce fou d’informations, qui dévorait les journaux et les livres était
venu s’installer en Bourgogne.
Et alors qu’Internet était encore
balbutiant il avait fait arriver chez lui, en Bourgogne, ce que l’on
appelait alors le «fil AFP». Il recevait en permanence toutes les
dépêches et donc toutes informations produites par les journalistes de
l’AFP en France et dans le monde entier. Il voulait être le premier
informé.
Il était venu une fois au Creusot. Pendant la campagne des
élections européennes pour lesquelles il avait été candidat. Il avait
comme à son habitude fait des étincelles. Et à la fin, évidemment, avant
de repartir il était venu échanger avec les quelques journalistes.
Longuement. Comme pour leur transmettre sa passion et/ou le très beau
flambeau qu’il portait. Depuis quelques années, sa parole manquait sur
les ondes. On lui a fait payer, sans doute beaucoup trop fort, des mots
malheureux et idiots sur l’affaire DSK. Oui il avait eu tort. Mais
était-ce une bonne raison pour lui couper le sifflet ?
Alain BOLLERY