Vendredi à Mesvres, 8 femmes d'agriculteurs ont pris la parole à la réunion publique. Un propos très touchant que le Député Rémy Rebeyrotte a relayé auprès du Président de la République, du Premier Ministre et du Ministre de l'Agriculture. Découvrez l'intégralité du message.
Les 8 qualités qui définissent le mieux nos paysans
La passion : Ce que l’on évoque en 1er lorsque l’on veut décrire le monde paysan, c’est leur passion inconditionnelle pour leur métier. Pour la plupart, les jeunes agriculteurs que vous avez autours de vous aujourd’hui sont issus de parents agriculteurs, eux-même issus d’agriculteurs. Il est même souvent impossible de savoir depuis combien de générations ce métier se transmet, tant nous faisons tous partie de la descendance des paysans d’autrefois. Ces jeunes sont sur un tracteur depuis qu’ils savent se tenir assis, ils suivent leurs parents au pansage depuis qu’ils savent marcher, et ils apprennent la tenue d’une exploitation depuis qu’ils savent parler. Ensuite, ils apprennent à conduire un tracteur à l’âge où les autres enfants apprennent à faire du vélo sans roulettes, et ils savent faire téter un veau sous sa mère à l’âge où les autres apprennent à traverser au vert. Bref, ils sont nés dans la ferme, ils ont grandi dans la ferme, et ils aimeraient tant poursuivre dans cette voie, pour la transmettre, un jour, à leur tour, à leurs enfants. C’est comme ça, c’est ancré dans leur ADN. Mais la passion n’empêche pas la fatigue ...
Le travail : Les agriculteurs sont des travailleurs acharnés. Leur journée commence aux environs de 7h le matin, et se termine vers 20h le soir, avec 1h de pause à midi quand tout va bien. Après, évidemment, ça dépend des saisons, de la météo, et ça n’inclut pas les heures de surveillance et de vêlage ou d’agnelage les nuits. Cela nous fait une moyenne de 85h par semaine (j’ai décompté la sieste du dimanche après-midi, faut pas abuser...). Tout ça pour un salaire net mensuel de 1000€ environ (c’est la moyenne donnée par la MSA dans notre secteur). Cela représente un salaire horaire de 2,74 € net par heure, alors que le SMIC est à 9,23 € net de l’heure, c’est 3 fois moins ! Pas de quoi mettre des paillettes dans leurs vies, ni dans celle de leur famille... Du coup, c’est souvent le salaire de leur conjoint ou conjointe qui permet de joindre les 2 bouts, surtout quand des petits marmots viennent agrandir le foyer. Mettez-vous un peu à leur place, que ce doit être frustrant ! Et pourtant, ils ont tous un diplôme en poche, vu que c’est obligatoire pour pouvoir s’installer. Il faut croire que dans leur situation, le travail et le mérite ne se comptabilisent pas comme pour les autres citoyens, et c’est bien dommage. Et puis, c’est moins connu, mais lorsque nos hommes sont au travail, ils ne sont pas à la maison ! Alors là aussi, ce sont les conjointes qui trinquent, et qui doivent adapter aussi bien leurs horaires de travail que le rythme des enfants. Ce n’est pas toujours évident de trouver chaussure à son pied quand on a un tel CV ! Heureusement, ce qui les sauve, c’est leur générosité.
La générosité : Les agriculteurs sont de nature généreuse, aussi bien dans leur façon de travailler avec leurs animaux que dans leur façon de partager leur passion avec ceux qui les entourent. Tous les commerciaux, les mécanos, les vétos, les marchands de bétail, les inséminateurs, les voisins et même les hommes politiques le savent : les agris ne vous refuseront jamais un café, un verre de rouge ou de blanc suivant vos préférences, et les gâteaux qui vont avec. Et si vous êtes sympa, vous aurez même le droit à un p’tit verre de goutte avant de partir. Pendant ce temps, vous aurez l’occasion de refaire le monde avec eux, de parler de la météo des 6 derniers et des 6 prochains mois, vous verrez briller dans leurs yeux la fierté d’avoir réussi leur dernier vêlage difficile, et vous pourrez contempler avec eux leur cheptel qu’ils aiment tant.
Le savoir-faire : Les agriculteurs français sont un modèle dans le monde entier. Ceux qui ont un peu voyagé pourront vous le dire, ils ont une histoire et des connaissances que tous les autres modèles nous envient. Pour la partie élevage, nous possédons une diversité de races bovines inégalée, un standard de bien-être animal très élevé et en constante amélioration, un savoir-faire en fabrication de fromages et de charcuteries incomparable. Pour la partie culture, nous possédons le vignoble le plus riche du monde, ainsi que presque toutes les cultures céréalières, fruitières, maraîchères et fourragères nécessaires à l’auto-suffisance de notre pays. J’utilise beaucoup de superlatifs, me direz-vous, mais si on résume, nos agriculteurs savent presque tout faire, et très bien le faire ! Alors pourquoi aller chercher ailleurs ? Quel manque de loyauté envers eux !
La loyauté : Les agriculteurs font preuve d’une loyauté indéfectible. Ils ont toujours continué à faire leur travail malgré les guerres, les crises économiques, les mouvements sociaux et, plus récemment, les crises sanitaires. Et ce, alors que la plupart des autres métiers étaient à l’arrêt. Ils ont subit courageusement tous les types de gouvernement qui se sont succédés, même les dictatures, sans se plaindre et sans arrêter de travailler, le tout sans attendre aucune reconnaissance ni aucune récompense de la part de ces mêmes gouvernements. Si ça ce n’est pas la définition même de la résilience... Nous autres, nous devrions en prendre de la graine... A propos de graine, et si on parlait un peu d’écologie ?
L'écologie : Personne ne connaît mieux ses terrains qu’un agriculteur. Leurs écosystèmes n’ont aucun secret pour eux. Ils connaissent les plantes qui composent les haies, les graminées qui poussent dans leurs prairies, le gibier et les nuisibles qui les traversent, l’emplacement des rochers sous la surface et même celui des sources cachées. De part leur sens de l’observation et du savoir ancestral qui leur vient de leurs parents, ils savent exactement comment utiliser, rentabiliser, enrichir, drainer, cultiver ou faire pâturer leurs terrains. Ils connaissent parfaitement le cycle saisonnier de leurs bêtes et de leurs cultures, et comment satisfaire au mieux leurs besoins. Les normes sont nécessaires, certes, mais elles doivent être cohérentes avec la réalité du terrain, et non dictées par des bureaucrates qui ne connaissent que la partie théorique de l’agriculture. Il faut faire confiance à nos agriculteurs pour faire au mieux avec les moyens qu’ils ont a leur disposition, en fonction de leur climat et de leur région ! Ce sont eux les vrais gardiens de notre chère terre !
Le courage : Du courage, il en faut pour être éleveur. Du courage pour se lever la nuit dans le froid pour faire naître les veaux, les agneaux et les chevreaux, du courage pour pailler les animaux pour qu’ils soient bien confortables et au sec, du courage pour pousser les bottes de foin pour donner à manger aux vaches, du courage pour faire avaler des médocs à 100 vaches récalcitrantes, et du courage pour encaisser toute la paperasse administrative qui les écrase ! Mais bon, par pudeur, ils vous diront que tout va bien...
La pudeur : Les agriculteurs sont par essence assez pudiques sur leurs difficultés. Et pourtant, des difficultés, ils n’en manquent pas ! Entre la peur de perdre leurs bêtes (à cause des maladies, des risques du vêlage et maintenant du loup), la peur des mauvaises récoltes (à cause de la météo et des aléas du matériel agricole), la peur du manque de paille (à cause de son prix ou de l’augmentation du broyage subventionné), la peur de ne pas vendre correctement leurs animaux (à cause de la fluctuation des marchés et du prix de la viande sur lequel ils n’ont aucun contrôle) et enfin la peur des sanctions administratives et financières lors des multiples contrôles dont ils font l’objet (EDE, DDPP, police de l’eau et j’en passe...). Tout ceci aboutit à un sentiment d’insécurité permanent qui doit être difficile à gérer au quotidien. Mais ils avancent sans se soucier d’eux-mêmes, de leur santé, et malheureusement, ils finissent parfois par se perdre, dans le silence et l’indifférence générale. La profession compte parmi les plus forts taux de suicide, avec 605 suicides en 2022. 605 personnes désespérées qui ont préféré se donner la mort plutôt que de continuer à supporter le poids des responsabilités, le regard assassin des adeptes de l’agri-bashing et les menaces financières des contrôleurs et des banques. Ces chiffres témoignent du malaise profond et insidieux qui se glisse inexorablement parmi les agriculteurs, déjà si durement éprouvés physiquement et mentalement. C’est un cri de désespoir, de tristesse et d’injustice qui ne doit pas être négligé et qui doit pousser chacun de nous à changer les choses, à notre niveau.
Il faut absolument rendre à nos agriculteurs la place qui leur revient, parce que là, franchement, on marche sur la tête !
La Lettre de Rémy Rebeyrotte au Président de la République :Monsieur le Président,
En tant que Député de Saône-et-Loire, j’ai été invité à participer à une réunion d’échanges avec les agriculteurs de notre département.
Vous le savez, ce territoire que j’ai la chance de représenter est riche de sa ruralité. C’est elle qui façonne ses paysages de bocage, entretient ses prairies et nourrit nos concitoyens. Cette ruralité, c’est celle d’hommes et de femmes, qui ne se sentent ni écoutés, ni reconnus et qui ont tenu à faire porter leur voix.
Nous avons eu presque trois heures d’échanges, vifs parfois, désespérés souvent, mais francs, toujours, et productifs.
La réunion s’est ouverte par la prise de parole des femmes d’agriculteurs. Huit compagnes qui ont tenu à partager chacune une qualité portée par leur conjoint. Dans ces portraits, tout est dit, rien n’est à ajouter.
Je souhaite vivement m’en faire le relais, pour que leur écho porte jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, en espérant que ces lettres vous toucheront autant qu’elles ont touché l’auditoire.
Vous remerciant par avance de votre écoute et de l’action qui en découlera, je vous prie d’accepter, Monsieur le Président, l’expression de ma plus haute considération.
Rémy Rebeyrotte
Député de Saône et Loire