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21/01/2025 03:15
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SANTE : Comment le vaccin contre la grippe fonctionne-t-il ?

Pourquoi une épidémie de grippe aussi virulente en 2024-2025 ? Pourquoi se vacciner tous les ans contre la grippe saisonnière ? Quelles stratégies pour élaborer le «cocktail» vaccinal ? Pourquoi ne pas vacciner tout le monde ? Pourquoi la situation des enfants est singulière ? Pourquoi ne pas obliger les soignants à se vacciner ? Pourquoi une efficacité limitée du vaccin ? Quelles pistes de recherche pour de nouveaux vaccins ?

Comment le vaccin contre la grippe fonctionne-t-il ?

Jean-Daniel Lelièvre, Inserm Le vaccin contre la grippe est-il efficace ? Qui est concerné ? Pourquoi le masque et les gestes barrières sont-ils essentiels ? On répond aux questions clés autour de cette vaccination qui reste mal comprise.

La campagne contre la grippe saisonnière s’achève le 31 janvier. Il est donc encore temps de se faire vacciner ! Le port du masque comme l’ensemble des gestes barrières sont également d’actualité. Et ce, d’autant plus que, cette année, l’épidémie de grippe est particulièrement virulente.

Pourquoi une épidémie de grippe aussi virulente en 2024-2025 ?

Ce sont les types (ou souches) A et B du virus Influenza qui sont responsables de la grippe saisonnière chaque hiver. Le nom Influenza du virus de la grippe vient de influenza di freddo qui signifie en italien « influencé par le froid ».
Plusieurs sous-types de virus peuvent circuler, en particulier les sous-types H1N1 et H3N2 pour la souche B et le B/Victoria pour la souche B (il existe aussi une lignée B/Yamagata, mais elle ne circule plus depuis 2020).
La virulence de l’épidémie cette année s’explique par le fait que ces trois virus circulent en même temps, ce qui n’est pas courant.
Ces souches touchent différentes populations : la souche B/Victoria affecte les enfants, la souche H1N1/A les 18-59 ans et la souche H3N2/A (qui est apparue en 1960 et que n’ont pas rencontrée les seniors dans leur enfance) touche de ce fait les plus de 65 ans.
Les virus de type A sont plus fréquents chez les sujets hospitalisés, ce qui reflète la plus grande sévérité des grippes A que des grippes B.

Pourquoi se vacciner tous les ans contre la grippe saisonnière ?

Les virus de la grippe sont des virus à ARN (dont le matériel génétique est constitué d’ARN) qui se répliquent rapidement et auront tendance à faire des erreurs lors de la réplication. Ils vont donc évoluer d’une année sur l’autre.
Le fait d’avoir rencontré l’un de ces virus par le passé confère une protection face une nouvelle infection par ce même virus, même s’il a muté. Mais cette protection dite croisée peut être incomplète. C’est pourquoi il faut se faire vacciner à nouveau chaque année.
À noter que les virus de la grippe présentent des capacités de mutations différentes. Le sous-type H3N2/A de la souche A se modifie à une vitesse plus importante que le sous-type H1N1/A. La souche B/Victoria se modifie moins.

Pourquoi une vaccination conjointe contre la grippe et le Covid-19 ?

Les personnes qui présentent un risque de Covid sévère doivent se faire vacciner. Le choix de la vaccination en octobre en même temps que la grippe est une stratégie opérationnelle, non scientifique. On profite en quelque sorte de la vaccination contre la grippe pour vacciner contre le Covid-19.
Mais le virus du Covid n’est pas considéré comme un virus hivernal. Le risque de contamination par le Covid-19 n’est pas plus élevé en hiver que durant d’autres saisons. En revanche, la grippe, elle, est bien une maladie de l’hiver.

Quelles stratégies pour élaborer le « cocktail » vaccinal ?

C’est l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui, chaque année, détermine la composition du vaccin contre la grippe pour l’hémisphère Nord, en février ou en mars.
L’OMS reçoit les données de surveillance mondiale des virus grippaux qui circulent dans le monde entier, notamment dans l’hémisphère sud où l’hiver est décalé. Sur cette base, elle détermine quels sous-types de virus Influenza ont la plus forte probabilité de circuler dans l’hémisphère Nord. Environ six mois s’écoulent entre la décision de l’OMS et l’obtention du nouveau vaccin.
Mais du fait du décalage entre les épidémies dans les deux hémisphères, les virus qui circulent dans l’hémisphère sud peuvent connaître des mutations et avoir beaucoup évolué au moment où ils arrivent dans l’hémisphère Nord, ce qui aura des conséquences sur l’efficacité du vaccin.
Le vaccin classique contre la grippe est un vaccin inactivé produit le plus souvent à partir de virus cultivés dans des œufs de poule. Pour protéger contre les différents virus qui peuvent circuler en même temps, le vaccin incorpore plusieurs virus. Les vaccins trivalents inactivés contiennent deux sous-types de grippe A (généralement les sous-types H1N1/A et H3N2/A) et une souche de grippe B (généralement la souche B/Victoria) généralement. Les vaccins quadrivalents incorporent une souche B supplémentaire (la souche B/Yamagata).
Trois catégories de vaccins inactivés trivalents ou quadrivalents sont disponibles en France hexagonale. Ce sont des vaccins produits sur œuf et destinés à toute la population, à partir de l’âge de six mois (Fluarix Tetra, Influvac Tetra et Vaxigrip Tetra).

Pourquoi ne pas vacciner tout le monde ?

La grippe est une maladie souvent bénigne. Comme on est contaminé très tôt dans l’enfance, la majorité d’entre nous est donc protégée contre les formes sévères, c’est-à-dire que nous disposons d’anticorps et de lymphocytes TCD8 – cellules immunitaires essentielles contre les infections virales – réactifs qui vont nous protéger.
Ce n’est pas le cas des personnes immunodéprimées (dont le système immunitaire est défaillant du fait d’une maladie comme l’infection VIH, d’un traitement type chimiothérapie contre un cancer, etc., NDLR) et des personnes âgées de plus de 65 ans qui connaissent ce que l’on nomme l’immunosénescence dont le système immunitaire fonctionne moins bien (on parle d’immunosénescence.
On vaccine donc ces sujets contre la grippe car ils sont susceptibles de présenter des formes sévères de la maladie.
Chez d’autres personnes, la grippe peut également être grave parce qu’elles risquent de décompenser, c’est-à-dire d’aggraver, une maladie chronique existante. C’est typiquement le cas de ceux qui souffrent de pathologies respiratoires, mais d’autres maladies chroniques sont également concernées.
(Retrouvez sur Vaccination-info-service la liste complète des situations, notamment la grossesse, et des maladies pour lesquelles la vaccination est recommandée en France, NDLR).

Pourquoi la situation des enfants est singulière ?

La situation des enfants est singulière à deux titres.
Premièrement, les jeunes enfants sont surreprésentés parmi les hospitalisations pour grippe par rapport à la structure de la population française. Les jeunes enfants de moins de cinq ans sont considérés par l’OMS comme à risque de complications grippales et l’OMS recommande leur vaccination.
Deuxièmement, les enfants représentent le réservoir du virus de la grippe. Ils sont susceptibles de le transmettre aux personnes les plus à risque comme les seniors.
Certains pays ont mis en place une vaccination de l’enfant contre la grippe saisonnière. En Europe, c’est le cas de l’Autriche, de la Finlande, de la Lettonie, de Malte, de la Pologne, de la Slovaquie, de la Slovénie, de l’Italie et du Royaume-Uni. Hors d’Europe, c’est le cas du Canada, des États-Unis et de l’Australie.
En 1962, et jusqu’en 1994, le Japon fut le premier pays à mettre en place la vaccination des enfants d’âge scolaire sans comorbidités (c’est-à-dire sans pathologies associées) avec notamment une diminution de la mortalité attribuable à la grippe (mortalité de l’ordre de 10 000 décès par an). Les données sur le Royaume-Uni montrent également un bénéfice important démontré pour les enfants comme pour les sujets âgés d’une vaccination pédiatrique des enfants de 2 à 17 ans. Toutefois, cette vaccination pédiatrique s’est révélée insuffisante pour interrompre totalement la transmission, malgré une réduction significative.
En France, depuis 2023, la Haute Autorité de santé (HAS) recommande également le vaccin de la grippe saisonnière pour les enfants de 2 à 17 ans sans comorbidité. Mais dans notre pays où l’acceptation vaccinale est la plus mauvaise au monde, la mise en œuvre d’une vaccination des enfants tous les ans pourrait être compliquée, même si elle se justifie scientifiquement. Il existe désormais un vaccin contre la grippe par voie nasale recommandée par la HAS pour les enfants… mais non disponible en France.

Pourquoi ne pas obliger les soignants à se vacciner ?

La vaccination des soignants peut se révéler intéressante. Mais il est important de rappeler que l’impact du vaccin sur la transmission, c’est-à-dire après infection, si elle existe, est faible (de l’ordre de 20 %). De plus, cette protection va diminuer rapidement au cours du temps et pourrait être très faible si le pic épidémique est éloigné du début de la vaccination, comme c’est le cas actuellement.
Si on vaccinait l’ensemble des soignants, on ne diminuerait pas la charge virale qui circule dans la population générale et cette mesure n’impacterait pas l’épidémie, contrairement à la vaccination large des enfants. Par ailleurs, en période hivernale il existe souvent une co-circulation d’autres virus respiratoires contre lesquels on ne dispose pas de vaccin chez l’adulte jeune, ou pas de vaccin du tout.
Il apparaît dès lors essentiel d’insister sur le port du masque en période d’épidémie avec des virus respiratoires. Un geste à adopter aussi pour l’ensemble des personnes qui entrent à l’hôpital ou les passagers des transports en commun.
La meilleure protection contre la transmission du virus, c’est le masque. Il faut donc être prudent avec les obligations vaccinales dont la portée est limitée et préférer une recommandation vaccinale s’intégrant dans le cadre de mesures de prévention plus larges incluant le port du masque.

Pourquoi une efficacité limitée du vaccin ?

Il convient de distinguer l’efficacité et l’efficience vaccinale :
  • L’efficacité vaccinale (vaccine efficacy) désigne la réduction du risque d’infections et de maladies ultérieures grâce à la vaccination dans des circonstances idéales telles que des essais cliniques randomisés contrôlés par placebo ;
  • L’efficience vaccinale (vaccine effectivness) fait référence à la réduction du risque de résultats cliniques (par exemple, l’incidence de la maladie, l’admission à l’hôpital) chez les sujets vaccinés dans des conditions « réelles » et elle est généralement évaluée dans le cadre d’études d’observation.
L’efficacité des vaccins antigrippaux actuels est sous-optimale, puisqu’elle a été estimée entre 40 et 60 % lorsque les souches vaccinales sont bien adaptées aux virus en circulation. L’efficacité insuffisante des vaccins est probablement multifactorielle. Elle inclut également les facteurs liés à l’hôte (c’est-à-dire la personne vaccinée) tels que l’âge et les affections coexistantes.
Un facteur essentiel est le mismatch entre les souches circulantes et celles présentes dans le vaccin. Même quand on a pu isoler la bonne souche pour le vaccin, celui-ci peut au final contenir des protéines ayant changé. Au cours du processus de production à base d’œufs, le virus vaccinal peut muter pour s’adapter à la culture sur l’œuf. On a alors des protéines virales un peu différentes de celles présentes sur le virus initial. L’impact réel est largement inconnu.
On entend souvent dire que le virus protège surtout contre les formes sévères. En général, le vaccin contre la grippe induit davantage une réponse systémique qu’une réponse muqueuse, c’est-à-dire qu’il a tendance à plus protéger contre la maladie qui touche les poumons – qui est une forme plus sévère – que celle qui est présente au niveau de la sphère ORL. Mais cela varie selon les années.

Quelles pistes de recherche pour de nouveaux vaccins ?

Cette recherche est dynamique et se développe selon plusieurs axes :
  • l’amélioration de l’efficacité des vaccins existants (par l’utilisation d’adjuvants ou de vaccins hautes doses) ;
  • l’augmentation de la rapidité de production des vaccins qui est un élément crucial. Ici, se positionnent des vaccins à ARN messager contre la grippe. Ils induisent toutefois une réponse immunitaire qui durera probablement moins longtemps que celle conférée par les vaccins actuels ;
  • la mise au point de vaccins permettant d’induire une réponse au niveau de la muqueuse, c’est-à-dire la sphère ORL (vecteurs viraux, vaccins vivants atténués comme celui par voie nasale déjà disponible dans certains pays…) ;
  • la mise au point de vaccins actifs contre toutes les souches virales. Celle-ci est beaucoup plus complexe.
La grippe touche des millions de personnes dans le monde. Il s’agit d’un problème de santé publique pour lequel on dispose de financements publics, aussi privés. Car potentiellement, un vaccin universel très efficace pourrait être donné en population générale.The Conversation
Jean-Daniel Lelièvre, PU-PH Professeur d'immunologie, directeur du département clinique du VRI - Expert vaccin HAS, OMS, EMA, Inserm
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.