Evidemment le mieux serait qu’il ne s’occupe que de lui et de son chien,
en attendant d’aller mieux, mais il a un compte Tik-Tok qu’il anime
dans l’espoir d’en tirer un jour quelque revenu. Et ça, c’est un piège
et un poison. Son avocat a sans doute raison, on peut voir des effets
délétères quand la vie se joue dans le smartphone...

C’est l’histoire d’un homme et d’une femme qui ne se comprennent pas. Jusqu’ici rien de neuf sous le soleil, c’est normal. Sauf que personne ne les a instruits de cette terrible réalité. Personne ne les a éduqués visiblement à savoir ceci : on ne se comprend pas, c'est ainsi. On a des choses à vivre ensemble, pourquoi pas, mais être compris de l'autre en est exclu.
Alors ces deux-là, qui sont jeunes (mais on en voit plein de plus âgés toute l’année pour des faits semblables), se cherchent. Ils se cherchent et ne se trouvent pas. C’est normal on l’a déjà dit. Mais à force de se chercher ils se noient dans des embrouilles pas pensables, avec le concours d’une amie secourable (c’est ironique, oui).
Ils se sont rencontrés sur les réseaux dits sociaux en mars dernier. Visiblement ça se passe mal d’emblée. Et, alors qu’elle était repartie de chez lui avec ses affaires autour du 19 mai, dans la nuit du 24 au 25 elle revient. Sans lui demander visiblement s’il était d’accord. C’est la nuit, il l’accueille. Pourtant elle a dit qu’il l’insultait depuis le début, qu’il a déjà été violent, que le réseau VIF lui avait proposé un hébergement d’urgence mais elle n’y a pas mis les pieds. Pour dire que tout n’est pas si simple.
Le 25 mai à 8h30 du matin, elle appelle les gendarmes. Son ex-compagnon l’a frappée. Il a pris son téléphone, il en voulait le code pour savoir on ne sait quoi, elle s’est réfugiée dans un café. Alors les gendarmes l’y retrouvent, constatent les traces de coups, de strangulation, puis ils trouvent monsieur à son domicile, « abattu et peu cohérent ». Il n’avait pas bu mais il avait tabassé la femme, ça peut avoir des effets confusants quand on est fragile comme ça.
A l’audience des comparutions immédiates de ce lundi 26 mai, le prévenu (il arrive directement de garde à vue, escorté par des gendarmes de la brigade d'Autun), né en 2004 dans le sud du pays, semble encore abattu, par contre il est cohérent. Il est mal barré parce que la victime a 15 jours d’ITT et qu’il a déjà été condamné pour des violences, par le tribunal pour enfant, mais il dit des choses sincères et pertinentes, au détour de phrases pleines de clichés.
Un vrai triangle d’ambiguïté amoureuse
« Il est en souffrance » dira son avocat, avec raison. Il a besoin d’aide ce jeune homme qui semble ignorant de tout. Entiché amoureusement de cette jeune femme qui décrit les scènes du 25 à la barre mais dit aussi son attachement à ce beau jeune homme. Deux ignorants, vraiment.
Et puis un tiers malfaisant intervient dans cette situation fragile, effritée de partout.
La fameuse amie, qui « met de l’huile sur le feu » dit Lucie Bourg, avocate de la partie civile. « C’est le témoin qui envenime la situation » dit le procureur.
Un vrai triangle d’ambiguïté amoureuse. Un nid d’embrouilles empoisonné par des sous-entendus, « et encore je te dis pas tout » écrit l’amie au garçon. Ça nous vient en écrivant : le prévenu est beau garçon et ça, on le dit très sérieusement, ça ne peut, en l’état actuel de son état, que lui compliquer la vie.
L’abyssale ignorance, encore
Le tribunal est focus sur les violences, le casier du prévenu qui est en état de récidive légale, laisse la victime se déverser. Le procureur requiert une peine importante : 18 mois en tout avec mandat de dépôt.
On ne remet certes pas en question la légitimité du tribunal ni celle des réquisitions du parquet, mais on insiste sur ceci : auteur et victime, si jeunes, semblent singer les mauvaises manières de certains adultes et en partagent l’abyssale ignorance qui fait le lit des amours malheureuses, génère trop souvent une violence inadmissible, et encombre les audiences, entre autres.
Pourquoi personne ne les recadre sévèrement ces deux-là ?
Que les âneries ça va bien cinq minutes et que si les lois interdisent certains comportements, ce n’est pas pour rien ? Et qu’il ne suffit pas de dire « c’est pas moi qui ai tapé » pour être exempt de tout reproche ? Bref, leur dire ce que personne ne leur a dit.
« Violence inadmissible », oui, mais il est touchant par ailleurs
Le prévenu, qui a tort, évidemment, et va être condamné, est touchant malgré tout, parce qu’il dit des choses pertinentes, comme « quand je comprends pas, j’ai tendance à m’énerver dans moi », « j’ai cherché des réponses, je ne lui ai pas demandé de revenir chez moi ». Le tout est nappé de formules toutes faites, de clichés du type : « poser les cartes sur la table », « repartir à zéro », « dire toute la vérité ».
Comment en vouloir à ce garçon âgé de 21 ans, placé à répétition de foyer en foyer, de ne pas savoir ce qu’il dit quand tous ceux qui ont connu des enfances plus stables ne le savent pas non plus la plupart du temps ?
Bref, il a été très violent. A son casier il y a déjà deux condamnations pour violence, et qu’il sache que lorsqu’il ne comprend pas une situation ou une personne, ça fait monter en lui de la colère, n’y change rien. Il a répété être « amoureux » de la victime, laquelle se dit attachée à lui aussi, mais il y a 15 jours d’ITT entre eux désormais, alors il faut que ça cesse.
L’importance (vitale) des chiens dans les vies abîmées
Le prévenu s’inquiète pour son chien. « Vous avez dit qu’il n’était pas dressé (la présidente a lu le PV des gendarmes), mais ça n’est pas vrai, il l’est et moi je l’aime énormément, mon chien et je ne veux pas qu’il aille à la SPA ou chez des gens. Mais il est tout seul chez moi, il n’y a personne pour s’en occuper. »
Ce jeune a des pensées suicidaires. Il veut passer par une assistance sociale pour qu’elle l’oriente, « j’en ai besoin » dit-il d’une voix grave au tribunal.
« Ce jeune homme est en souffrance. Les deux, sont en souffrance »
Le bâtonnier Diry plaide pour lui, plaide une coupure qu’il croit observer entre un quotidien tout entier joué sur les écrans des téléphones et l’absence de toute règle de conduite, de savoir-vivre (sous-entendu : avec les autres) « en présentiel ». Que madame soit victime ne se discute pas mais enfin, se pointer chez monsieur, sans avoir pris rendez-vous, comme ça ? « Si c’était lui qui avait fait ça, on y aurait vu une circonstance aggravante, comme une intrusion », ou un forçage en effet. « Ils semblent vivre dans un monde étranger aux plus de 40 ans » plaide encore l’avocat qui insiste : « Monsieur est plutôt honnête. On a un certificat médical qui est conforme à ses déclarations à lui. Il est inutile d’en rajouter, madame. »
L’avocat demande au tribunal de s’interroger sur l’utilité d’une incarcération. « Ce jeune homme est en souffrance. Les deux, sont en souffrance. »
Une sanction, un cadre, mais pas d’incarcération
Le tribunal dit le prévenu coupable, le condamne à la peine de 18 mois de prison dont 12 sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Obligations de soins, de travailler, interdiction de contact avec la victime ainsi que de paraître à son domicile, obligation de l’indemniser (renvoi sur intérêt civil en septembre).
Le tribunal révoque partiellement un sursis de 2023, à hauteur de 2 mois.
Ça fait 8 mois de prison ferme en tout, peine aménageable il verra ça avec un juge de l’application des peines.
« Aujourd’hui vous ne partez pas en détention », explique la présidente au jeune homme qui a pris son visage dans ses mains avant de les lever au ciel, jointes comme en prière.
La présidente l’avertit : « Vous devrez faire vos preuves pour obtenir un aménagement. » Et lui, dans le droit fil de sa préoccupation principale à cette heure de ce jour, de répondre : « Oui, et merci pour mon chien. »
Evidemment le mieux serait qu’il ne s’occupe que de lui et de son chien, en attendant d’aller mieux, mais il a un compte Tik-Tok qu’il anime dans l’espoir d’en tirer un jour quelque revenu. Et ça, c’est un piège et un poison. Son avocat a sans doute raison, on peut voir des effets délétères quand la vie se joue dans le smartphone et qu’on traîne « des idées suicidaires ».
FSA