« Il fait preuve d’un irrespect total envers son épouse »... Chacun dit de l’autre qu’il est un bon parent, ce couple est en voie de divorcer...
« Ce que vous dites, monsieur, c’est ambivalent, c’est déroutant, et ça peut être inquiétant de dire tout et son contraire dans la même phrase » finit par dire le président.
C’est que le prévenu présente à l’audience le profil qui agace, au minimum, les juges et le dossier est comme souvent bâti de deux versions bien différentes. Mais le président, qui commence son instruction sur un ton plutôt bonhomme, finit par prendre un ton plus vif.
Monsieur a une alcoolémie d’1 gramme. Madame a des bleus sur les bras
Le 12 janvier dernier, les gendarmes sont requis au domicile d’un couple, dans une commune proche d'Autun. Le couple s’accuse mutuellement. Monsieur a une alcoolémie d’1 gramme. Madame a des bleus sur les bras. La perquisition du domicile sort toutes les armes de monsieur, chasseur et « Ball trappeur » : 4 fusils, 2 carabines, 1 canardière et leurs munitions. Pour autant les armes ne sont pas le sujet.
Un prévenu plutôt raide et une prévention ambigüe dans sa rédaction, mauvais mélange
Le sujet, à l’issue de la garde à vue du mis en cause, c’est qu’il doit répondre de deux scènes violentes devant le tribunal, ce 16 janvier, à l’audience des comparutions immédiates.
La prévention, telle qu’elle est rédigée est ambiguë : on pourrait croire qu’il est poursuivi pour des violences habituelles du 8 novembre dernier au 12 janvier 2025. Or ce n’est pas le cas : il est poursuivi pour deux scènes, celle de janvier et une en novembre dont la victime a fourni aux gendarmes un enregistrement partiel. Pour autant l’instruction est longue parce que le président creuse - tant une impression ne saurait suffire à asseoir une certitude et le tribunal cherche à savoir « qui il juge ».
Un tableau qui peut être celui d’un couple en crise totale, ou celui d’une maltraitance habituelle !
Outre les deux scènes, la femme dénonce un contrôle de son mari, « une forme d’emprise » dit le président : le 3 décembre il casse la CB du compte joint de son épouse, en l’accusant de « vol », « devant les enfants » ; la femme dit qu’elle peut sortir « faire des courses » mais pas le soir avec ses copines ; son mari a mis un traceur sur la voiture qu’elle utilise ; elle a dû arrêter le sport en salle « parce qu’il y a des mecs » ; et puis il l’insulte, souvent.
Le tableau ainsi dressé est antipathique au dernier degré. Le prévenu conteste. « ça fait trois mois que j’entends que je suis drogué, alcoolique, pervers narcissique. » Le président va l’interroger, le sonder, le confronter. Les auditions de deux de leurs enfants sur trois (couple marié depuis une douzaine d’années) pèsent dans la balance : « papa il dit des gros mots et parfois il tape maman », « maman ne supporte que papa boive de l’alcool ». Et puis ces enfants sont appelés par l’un ou l’autre de leurs parents quand il y a conflit violent… « pour calmer la situation » dit le prévenu.
« Vous édulcorez »
Le président a préparé son audience. Il a lu toutes les auditions et constate : « Vous édulcorez le propos, à la barre. » C’est souvent le cas : l’audience publique vous met sous les regards des autres et pas seulement de ceux qui, en robes, sont là pour rappeler, dire, faire appliquer, le droit.
Cela dit il y a gêne et gêne, ce prévenu semble être tel qu’il est dans la vie : un mélange d’autoritarisme (parle de lui à la 3ème personne parfois, se voit comme « un patriarche », etc.) et de fragilité narcissique, et aussi de quelque chose de plus facilitant (dont ses enfants témoignent aussi, et même son épouse : il s’occupe bien des enfants).
Sur le versant sensible : « je ne sais pas quoi répondre »
Habile, le président interroge le prévenu sur un versant sensible : il pourrait en sortir des réponses éclairantes. « Comment vivez-vous cette procédure, globalement ? » Hélas il ne sort rien. « Je ne sais pas quoi répondre à cette question. » Verrouillé de l’intérieur (ça court les rues, ce n’est pas ça qui fait l’infraction, ndla).
« Il fait preuve d’un irrespect total envers son épouse »
Maître Trajkowsk intervient pour la femme : « Elle a été conseillée par le réseau VIF. » L’avocate interprète le discours « lissé, parfait » du prévenu dans le sens d’une « habileté » qui serait donc calculée. Sur les faits évoqués à la barre et difficilement contestables : « Il fait preuve d’un irrespect total envers son épouse. Il est capable de l’insulter régulièrement. Elle est dénigrée, on contrôle par moments sa vie, mais cette violence est complètement banalisée, jusque dans la bouche des enfants. » La femme demande aux juges des mesures de protection.
Chacun dit de l’autre qu’il est un bon parent, ce couple est en voie de divorcer
Le procureur est rigoureux : les faits du 8 novembre et du 12 janvier sont constitués », le prévenu a un casier (des condamnations réhabilitées de plein droit, anciennes, puis des violences sans ITT, une conduite sous l’empire de l’alcool, une conduite sous stups).
Le procureur demande une peine de 12 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. A noter que le prévenu travaille beaucoup et a un bon revenu mensuel. Sur la question de l’autorité parentale : « Je la mets dans le débat mais je n’y suis pas favorable : chacun dit de l’autre qu’il est un bon parent. » A noter également : le couple avait décidé de divorcer.
Monsieur n’est pas le monstre dépeint par la partie civile
Après tout ça, maître Ronfard offre à son client une défense opiniâtre : celui-ci n’est pas innocent mais n’est pas pour autant le monstre « dépeint par la partie civile et ses projections romancées ».
« Aujourd’hui j’ai le sentiment qu’on juge un contexte. Or un de ses enfants dit bien que cela fait 3 mois que ses parents ne se supportent pas. Il dit aussi que lorsque ses parents se disputent : ‘maman nous dit de descendre’. Et la mère dit : ‘c’est son père qui le demande’. Moi je n’interprète rien mais ça me pose question. »
« On ne peut pas se dire simplement que ce couple est à bout ? »
Puis : « Quoi que celui-ci fasse, on le lui reproche ! Ayez un peu de recul dans votre délibéré. La situation était devenue délétère, oui. C’est une séparation qui se passe mal, et en présence d’enfants, mais est-ce que ça dessine nécessairement le contour d’une infraction pénale ?
Je ne crois pas. On vous brandit le spectre de ce ‘contexte’ mais eux, ils sont en fin de chemin. On en est à parler d’emprise ? On ne peut pas se dire simplement que ce couple est à bout ? Monsieur a facilité la formation professionnelle de sa femme et son installation. Il ne l’a pas privée, ni empêchée. »
Sous main de justice pendant 2 ans
Le tribunal rectifie la prévention pour lui ôter toute ambiguïté, puis dit monsieur coupable, le condamne à la peine de 8 mois entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Il devra indemniser la partie civile (renvoi sur intérêts civils), payer le droit fixe de procédure. Obligations de travailler et de suivre des soins psychologiques. Interdiction de tout contact avec madame ainsi que de paraître à son domicile (elle reste dans le domicile conjugal jusqu’au prononcé du divorce et des mesures qui l’accompagnent).
Monsieur ne pourrait prétendre à la pension de réversion, cas échéant.
Le tribunal ne retire pas l’autorité parentale ni son exercice.
Le président explique au condamné
Soins psychologiques : « pour un mode de fonctionnement qui nous a inquiétés, notamment en présence des enfants. »
La question de l’autorité parentale : « elle peut se poser chez le juge aux affaires familiales, vous avez à progresser pour ne pas mêler vos enfants à vos conflits. Vous aimez vos enfants : soyez à la hauteur de cet amour. »
La morale de cette histoire
« Il faut protéger les enfants, j’insiste. Ils peuvent être des victimes collatérales si vous, et madame, aussi, perdurez… Vos enfants ont assez souffert, c’est ce qui ressort du dossier. »
FSA