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26/12/2023 03:17
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Région d'Autun : Comment l'Education Nationale a-t-elle pu promouvoir «directeur» un instituteur qui cochait les cases du parfait pédophile

Il était au minimum un porc et ce qu'il a fait donne envie de vomir. Il aimait les enfants, mais a pris garde de ne pas toucher aux siens... «Il a trahi sa fonction d’enseignant et aussi sa famille»
La présidente Clara Verger finit d’exposer les faits, ce vendredi 22 décembre. A la barre, le prévenu aux cheveux blancs, un homme petit au corps fin et étroit, vêtu de gris, l’écoute.
Avant la révélation publique de faits odieux, il y eut un semi-aveu en privé : en 2007, l’instituteur fraîchement retraité a écrit à son ex-épouse.
Cette femme avait déjà trois enfants lorsqu’ils se sont mariés. Il a agressé les trois enfants (voir article du 22.12). Avec elle il en eut deux autres, et précise en fin de lettre : ceux-ci il ne les a « pas touchés ». En revanche, il reconnaissait avoir embrassé une jeune élève (école primaire) et avoir « informé » ses trois beaux-enfants, sur « la sexualité masculine », évoquant une « perversité » de sa part.
Perversité… c’est bien le moins, mais comme le plaidera maître Leray pour X, le garçon qui avait alors entre 8 et 10 ans, « ça, ça ressort péniblement des débats ».

« Péniblement »
Sur l’agression à caractère sexuel d’une enfant à l’école : « La sanction aurait dû être plus sévère pour que je comprenne que c’était interdit. Il n’y a pas eu de procès, juste une sanction administrative. »
La présidente enchaîne : « Un procès, et des soins et une interdiction de contact avec les mineurs, aussi. Parce qu’arrivé au collège, le jeune X dit qu’on vous appelait « le rat » parce que vous aimiez fouiner vers les petits garçons. » Le prévenu n’a pas connaissance de ce sobriquet, il dit qu’il ne fouinait pas.

Le plus choquant : « Ça non ! Parce que la chair de ma chair, j’y touche pas ! »
Les faits ont lieu quand la mère est absente, et chaque enfant est pris individuellement. « On comprend qu’avec cette blessure de toujours qui les poursuit, ils aient des craintes légitimes pour les enfants de la famille. » La réponse du prévenu fuse, et c’est là ce qu’il a dit de plus choquant : « Ça non ! Parce que la chair de ma chair, j’y touche pas ! »
Voilà un bout de vrai… Il se veut rassurant mais que dit-il se faisant ? Il dit qu’il choisit ses victimes, il dit qu’il sait à quel point les agressions sexuelles sont graves, il dit qu’il sait que le tabou de l’inceste existe.

Une juge assesseur lui signifie qu’elle n’est pas dupe de son discours
Il sait tout ça (puisqu’il vient de le dire), mais reste tout de même positionné dans un discours propre sur lui, convenable, d’apparence si rationnelle que ça pourrait même sembler convaincant (même si nous ne sommes pas franchement des êtres rationnels à la base) … sauf que l’aveu de sa position vient de lui échapper. Terrible aveu.
Il reste cependant en position de repli quand, tac !, Madame Sordel-Lothe, juge assesseur à l’audience, fait en une remarque un trou dans le discours-carapace du prévenu. Deux ans de psy, et le voilà qui « explique » ses passages à l’acte criminels (au sens commun, pas eu sens pénal) par la pauvreté de sa vie sexuelle d’homme adulte.
La juge dit et répète que dans le fond, à supposer que cette vie sexuelle dite « pauvre » lui posait problème à ce point, il aurait pu se tourner vers une partenaire adulte, non ? Vous ne croyez pas ?
En une interrogation, la juge signifie au prévenu que son discours à l’audience est plutôt bidon et qu’en aucun cas on ne saurait expliquer les abus sur des enfants par un motif si pauvre lui aussi. Elle touche si juste qu’il en reste bredouillant : « Excusez-moi, je ne vous suis pas… » Et pour cause.

Reconnaître sans assumer sa responsabilité
L’instant est bref mais crucial car rien n’arrête le vieil homme : il reconnait ce qu’il faut pour être « satisfaisant », pour être un bon prévenu qui demande « pardon », qui fait mine d’enfin nommer les choses – « je reconnais que c’est une agression sexuelle, point » -, alors qu’immédiatement il les met en perspective.
Les autres, tous les autres (son épouse, l’éducation nationale, etc.) ont été défaillants – « J’avais peur que ma famille explose (quelle curieuse entité, décidément, que « la famille » qu’il faut préserver à tout prix, fut-ce en portant des atteintes graves à ces plus jeunes membres, ndla), de perdre tout », « j’en ai parlé à ma femme mais elle n’a rien dit, elle aurait pu proposer d’aller voir un sexologue » - Un sexologue !?! Quel rapport avec l’inceste ? Quel rapport avec l’agression sexuelle, voire le viol (pour les filles) d’enfants ?

Par contrainte, n’en déplaise au prévenu
Sur la victime : « Il n’était pas consentant mais je ne l’ai pas contraint par la force. » La phrase est vicieuse elle aussi. La présidente avait pourtant établi la contrainte, dès le début de l’instruction : « Vous êtes le beau-père, vous êtes leur instituteur (l’action publique est éteinte pour ce qui concerne les deux filles, mais il a reconnu les faits perpétrés contre elles, y compris dans l’école), vous êtes le directeur de l’école, vous êtes un référent… Ce qui est marquant c’est que vos filles (les demi-sœurs des trois victimes) ne vont pas subir ça. Pourquoi ça s’est passé sur les enfants de votre épouse ? »
L’homme est sous contrôle judiciaire depuis le 31 mars 2021 avec une obligation de soins mais… rien. Qu’il ait sciemment choisi ses victimes, passant à l’acte dès l’année de la rencontre avec leur mère, abusant de son autorité renforcée par sa position sociale, … rien, pas un mot.

« Quand on est enfant, ce qui nous structure c’est ce qui nous sécurise : le foyer, et l’école »
« X a été utilisé comme objet sexuel pour satisfaire la jouissance de monsieur, et ça, ça ressort péniblement des débats. » Mathilde Leray représente X, victime entre ses 8 et 10 ans des agissements détraqués et hors la loi de ce beau-père protégé par sa fonction sociale. L’avocate plaide dans la brèche ouverte par la juge assesseur. « En matière incestueuse, chacun perd sa place. X attend de vous d’être reconnu victime, que sa place d’enfant victime soit reconnue, parce que, quand on est enfant, ce qui nous structure c’est ce qui nous sécurise : le foyer, et l’école. » Maître Leray insiste : en ces deux endroits centraux pour tout enfant, le petit X avait perdu toute quiétude, et gardait un sentiment « de main sale » après que son beau-père l’a forcé, entre autres, à le masturber.

« Monsieur vous dit ‘J’ai cassé son conte de fées’… Oh non ! Il a cassé l’enfant, c’est tout »
De même que la réponse de l’Education nationale lors de l’agression sexuelle d’une petite fille à l’école à Couches « n’est pas sécurisante », X fut pris dans un huis-clos là où « on est censé se sentir le plus en sécurité ».
« Son beau-père est allé jusqu’à l’éjaculation ce qui montre bien la jouissance qu’il prenait, mais à quoi ? Soit parce que c’était imposé à un enfant, et alors il est pédophile. Soit parce qu’il aimait faire souffrir sa victime, et alors on est dans la jouissance de dominer. En dépit des soins psychologiques qui lui sont imposés : aucune réponse. X a perdu sa place d’enfant, utilisé comme objet. Monsieur vous dit ‘J’ai cassé son conte de fées’… Oh non ! Il a cassé l’enfant, c’est tout. »
Maître Leray conclut : « Ce n’était pas à l’école, ni à l’épouse, d’agir, c’était à monsieur d’aller chercher des soins. X fut tributaire des carences de son beau-père, fut sa victime parce qu’il était le fils de sa mère, future épouse de l’instituteur. Le discours de monsieur est en surface. X demande réparation. »

« Il a trahi sa fonction d’enseignant et aussi sa famille »
« Un adulte irresponsable et pervers » dit Charles Prost, vice-procureur. « Pas d’abolition ni d’altération du discernement : monsieur était pleinement conscient, il savait ce qu’il faisait. Il a trahi sa fonction d’enseignant et aussi sa famille. Il y a une réflexion, mais qui ne va pas dans le sens d’un adulte responsable. Il faut faire preuve de sévérité et que monsieur ne recommence jamais. » Le magistrat requiert la peine de 5 ans de prison dont 4 ans serait assortis d’un sursis probatoire avec exécution provisoire, la partie ferme serait donc aménagée en détention à domicile, par exemple. Le prévenu n’a pas de casier, n’est donc pas en état de récidive légale.
« On juge des faits 30 ans après, c’est exceptionnel »
« Je veux parler d’un autre homme » dit maître Varlet. Le bâtonnier estime que son client a vécu « avec une culpabilité », et puis « on juge des faits 30 ans après, c’est exceptionnel. En ce cas il faut tenir compte du sens de la peine. Sans compter le courrier du prévenu à son ex-épouse en 2007 : « Il y reconnait les agressions sexuelles, il dit avoir agressé les trois enfants de madame et celle-ci garde ça par devers elle, comme si de rien n’était. »

« L’interpellation sociale de la mise en examen de monsieur… »
Damien Varlet poursuit : « Prendre prétexte de l’éducation sexuelle, c’est nauséabond et un peu pervers. Mais aujourd’hui il reconnaît tout, j’y vois la révélation de l’efficacité des soins. » En résumé : « Il a pris conscience de la gravité des faits, le quantum requis est délirant - je vous rappelle qu’on n’a pas trouvé de pédopornographie dans son ordinateur -, et l’expertise psychiatrique est rassurante. » L’avocat cite l’expert : « L’interpellation sociale de la mise en examen de monsieur, semble de nature à éviter la réitération. » Puis enfonce le clou : « 5 ans, ça ne tient pas compte de l’évolution de cet homme et les faits datent de 30 ans. »
Le prévenu ferme l’audience par ces mots : « X était un enfant. Je n’aurais jamais dû avoir ces gestes envers lui et envers ses sœurs. Je demande pardon. »

Enfin condamné
Le tribunal requalifie les faits dans les termes qui les désignaient il y a 30 ans, dit le prévenu coupable, le condamne à la peine de 3 ans de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, avec obligations de soins, de payer les frais de procédure et d’indemniser X, reconnu partie civile ; interdiction de tout activité avec des mineurs.
Le tribunal constate l’inscription de monsieur au FIJAIS, avec une obligation semestrielle de justifier de son adresse.
FSA

Note : On peut dire qu’il s’en sort bien, cet homme. La décision de justice se comprend (30 ans après les faits, une seule victime reconnue partie civile – plainte déposée en 2019 -, puisque pour les deux autres il y a prescription), casier judiciaire néant, etc. Mais il s’en sort bien, oui, pour avoir osé perpétrer ces crimes alors qu’étant de surcroît leur directeur d’école, il fermait aux enfants toute possibilité de recours auprès de la seule institution qui leur est accessible. Mesure-t-on l’ignominie de la situation ?

Les temps ont changé, dit-on… Pas sûr.  On peut lire ou consulter avec profit le rapport de la Ciivise : https://www.ciivise.fr/wp-content/uploads/2023/11/Synthese-VF.pdf
« Le plus souvent, les violences sexuelles sont incestueuses
Dans 81% des cas, l’agresseur est un membre de la famille. Dans 22% des cas, l’agresseur est un proche de l’enfant et de ses parents.
Les violences sexuelles débutent très tôt
En moyenne, les victimes avaient 8 ans et demi au début de violences.
Lorsque les violences sexuelles sont incestueuses, les victimes avaient 7 ans et demi au moment des premiers passages à l’acte.
Pour 22% des victimes, soit près d’un quart des situations, les premiers viols ou agressions sexuelles ont commencé alors qu’elles avaient moins de 5 ans (entre la naissance et 5 ans). »
Et la page 16 de la synthèse :
Plus l’agresseur est proche de la victime, plus la révélation des violences sexuelles est tardive
L’absence de soutien social
Près d’un enfant sur deux (45%) qui révèle les violences au moment des faits n’est pas mis en sécurité et ne bénéficie pas de soins ; autrement dit, personne ne fait cesser les violences et n’oriente l’enfant vers un professionnel de santé.
Parmi eux, 70% ont pourtant été crus lorsqu’ils ont révélé les violences.
Le plus souvent, l’enfant est cru mais n’est pas protégé
Dire que près d’un confident sur 2 ne fait rien (45%) ne revient pas pour autant à dire que le confident ne croit pas l’enfant. Seuls 3 confidents sur 10 ne croient pas l’enfant.
Dans près de 50% des témoignages, le confident ne sécurise pas l’enfant : il lui demande de ne pas en parler (27%) et même rejette la faute sur lui (22%). Consciente ou non, cette réaction ne fait que renforcer la stratégie de l’agresseur.
En imposant le silence pour assurer leur impunité, les agresseurs fragilisent l’enfant et le mettent sous emprise. Dans le même temps, ils “contaminent” le groupe social autour de l’enfant (famille, proches, professionnels, institutions).
C’est particulièrement le cas dans l’inceste : dans près d’un cas sur 2, les viols et agressions sexuelles sont commis en présence ou au su des autres membres de la famille.
La révélation des violences sexuelles n’est pas assumée par les professionnels
Non seulement les enfants sont très peu nombreux à se confier à des professionnels (15%), mais en plus, les professionnels sollicités par les enfants ne sont pas protecteurs. Près de 6 professionnels sur 10 n’ont pas protégé l’enfant à la suite de la révélation des violences (58%).
En revanche, lorsque le professionnel est protecteur et qu’il fait cesser les violences, il dépose une plainte dans près de 6 cas sur 10 (58%) - c’est bien plus que pour l’ensemble des autres confidents.
L’absence de recours aux institutions de protection
Dans plus d’un tiers des cas (36%), l’adulte à qui l’enfant victime révèle les violences agit pour le mettre en sécurité. Cet adulte, c’est le plus souvent la mère de l’enfant victime (70%), mais aussi le père (27%) ou un professionnel (23%).
Cependant, une plainte n’est déposée que dans 38% des cas et des soins ne sont procurés à l’enfant que dans 25% de cas. L’absence de recours aux institutions de protection et de soins peut traduire une banalisation de la gravité des faits mais il est aussi possible de penser que ces institutions ne suscitent pas suffisamment de confiance pour qu’elles apparaissent comme un recours et une garantie de sécurité.