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> Faits Divers > En Saône-et-Loire
01/10/2024 03:17
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Violences sur sa compagne : «Pourquoi ce maintien en détention ? Pour préparer votre sortie ailleurs qu’à Autun»

L’audience avait démarré piquante, elle s’est terminée dans un malaise général. Dans le box, ce lundi 30 septembre, un homme âgé de 28 ans. Il doit répondre de violences sur sa compagne. Il est en état de récidive.
Le 13 juillet dernier, une femme, accompagnée de son éducatrice, s’est rendue à la gendarmerie d’Autun pour déposer plainte : la veille, alors qu’elle avait bu à l’excès, son copain l’a brutalisée. Elle a une marque sur le bras.

« C’est pas qu’on continue à boire. C’est que quand on boit, on n’arrive pas à mettre une limite »
« Monsieur, vous dites qu’elle ‘marque facilement’, c’est ce que disent tous les auteurs de violence conjugale » renvoie la présidente qui interroge le prévenu sur ses consommations d’alcool.
Le prévenu : « Quand on boit trop, on n’arrive plus à se comprendre. »
La présidente : « Dans ces conditions, pourquoi vous continuez à boire ? »
Prévenu : « C’est pas qu’on continue à boire. C’est que quand on boit, on n’arrive pas à mettre une limite. »
Visiblement ce problème de limite se pose en tout puisque l’homme, placé le 14 juillet sous contrôle judiciaire avec interdiction de contact, a été incarcéré le 5 août : il ne cessait de voir sa compagne. A l’audience il dit posément que « dans l’amour », « y a pas de barrière ». Bon.

Dix interventions des gendarmes au domicile, entre le 10 février et le 10 juin
La question de l’alcoolisme, il la colle sur le dos de madame, systématiquement. Il soutient même au tribunal qu’il pourrait évidemment se limiter, en compagnie de madame…
« Ah, dit la présidente, et comment vous expliquez les dix interventions des gendarmes au domicile, entre le 10 février et le 10 juin, à cause de tapages, disputes, etc., toujours sous l’empire de l’alcool ? »
Le prévenu répond sans difficulté : « On est dans le quart de la population où on doit avoir des interventions de la police pour l’alcool. » La juge : « Je vous dis que ça n’est pas normal. Vous avec un problème avec l’alcool ou pas ? »
Le prévenu a cette réponse qui peut laisser supposer qu’il calcule (on verra la suite) : « Je sais pas… ça va me porter préjudice ou pas ? »

« Est-ce que vous comprenez l’infraction qui vous est reproché, en fait ? »
La procureur étrille un peu le prévenu, mais les réponses qu’il fait sont tellement à côté de la plaque que la magistrate finit par lui demander :
« Est-ce que vous comprenez l’infraction qui vous est reproché, en fait ? » Il dit que oui.
La victime vient à la barre. C’est une femme en difficulté qui est socialement aidée pour parvenir à s’en sortir. Se sortir de quoi ? De la précarité et de l’alcoolisme. Voilà un an qu’elle était avec cet homme. Au début il vivait chez elle, puis suite à la venue des gendarmes, elle l’a aidé, dit-elle, à prendre un logement. Domiciles séparés, donc.

La victime
La femme a dû être préparée un peu à l’audience et heureusement pour elle car à la base elle ne demandait rien, mais face au tribunal elle parvient à dire qu’elle se sent « mieux » maintenant qu’elle n’est plus avec lui, qu’elle a réussi à tenir plusieurs jours d’affilée à faire les vendanges, ce dont elle ne se serait pas crue capable.

Elle demande une interdiction de contact et des dommages et intérêts, puis, répondant à l’avocate du prévenu, dit sincèrement qu’elle ne se souvient pas de grand-chose de la scène du 12 juillet au soir. Durant l’été, il enfreignait l’interdiction judiciaire, oui, mais elle espérait qu’il aurait évolué un peu, jusqu’à la scène du 4 août. Des voisins entendent insultes et cris, les gendarmes reviennent, l’homme est incarcéré illico.

Ce qu’au tribunal on appelle le volet « personnalité » fait basculer l'ambiance
Le temps suivant va faire passer tout le monde dans le malaise. Plus aucun sourire en coin, que des mines graves.
Au casier du prévenu 5 mentions dont 3 vols et deux condamnations pour des faits liés aux stups.
Est-ce qu’il travaille ? Il dit que oui, « comme auto-entrepreneur, depuis 2019 ».
Il gagne combien ? Ben, en fait, rien, « à part les impôts ». Il s’est déclaré pour quelle activité ? « En ingénierie. » C’est-à-dire ? « Mon père était dans l’électricité. » Ok, mais lui, il fait quoi ? « Ecoutez, j’ai fait les démarches, on ne m’a pas demandé de justificatifs. » D’accord mais « en ingénierie », ça veut dire quoi ? « Ecoutez, j’ai pas d’idée. »
Le ton qu’il prend, un ton sérieux, un ton un poil condescendant, et ce qu’il dit : rien ne va.

« J’ai déjà travaillé, oui. J’ai assez miséré à travailler pour les gens, pour ne pas recommencer à le faire »
A-t-il déjà travaillé ? Toujours sur un ton d’évidence : « J’ai déjà travaillé, oui. J’ai assez miséré à travailler pour les gens, pour ne pas recommencer à le faire. »
La présidente, mot par mot, lui arrache qu’il a un CAP en boulangerie, « mais ça paie pas » ajoute l’homme. A quoi la juge répond qu’elle n’est « pas sûre qu’être autoentrepreneur en tout et en rien, ça rapporte davantage ». 
Par chance, un juge assesseur se coltine la tâche pas facile de mettre des mots sur ce qui nous frappe tous.

« Monsieur, on a l’impression que vous n’êtes pas dans la réalité »
Le juge assesseur : « Monsieur, on a l’impression que vous n’êtes pas dans la réalité. » Le juge demande au prévenu des informations sur son parcours scolaire. « J’ai quitté l’école j’avais 14 ans. » …

« Monsieur, avez-vous déjà vu un psychiatre ? – Non, aucun.  – Et personne ne vous a engagé à le faire ? A vous entendre, on se pose la question : vous ne semblez pas dans la réalité. » Le prévenu ne dit rien, le juge poursuit : « Vous avez un projet ? » L’homme, défensif du début à la fin, monte d’un cran : « Vous voulez un projet ? Je vais vous en dire un… Euh… Cigarette électronique Bluetooth, tiens ! Ça n’existe pas. » De défensif, il devient agressif : « Vous voulez un petit projet ? Un moyen ? Un grand ? »

Le sentiment que cet homme souffre d’un trouble qui relève de la psychiatrie
Le juge revient calmement à la charge : « Monsieur, avez-vous déjà vu un psychiatre ? On vous a déjà parlé d’une maladie mentale ? – Non, non, jamais de la vie ! »
Il fallait bien que quelqu’un le dise, ce sentiment qui nous a - en principe - tous saisis, que cet homme souffre en effet d’un trouble de nature psychiatrique, et que cela est troublant : qui juge-t-on, là ?
Le malaise que génèrent les réponses du prévenu… Les réquisitions sont habituelles pour ce genre de dossier (position du prévenu à l’audience, inquiétante, « relation toxique », « ils se tiraient vers le bas ») … La plaidoirie de la défense l’est aussi, au fond. Affleure un « J’entends que les propos de monsieur peuvent inquiéter ».

Dans le box, l’homme tapote des doigts, le micro amplifie les bruits, bruits qui offrent une musique de fond à la plaidoirie, comme un rappel : y a quelque chose qui cloche. « Pas de prison mais un sursis probatoire. Il va s’éloigner d’Autun, conclut l’avocate. La priorité c’est le soin. » Il faudrait un diagnostic, avant, se dit-on.

L’homme dit ses excuses à la victime
Le tribunal le dit coupable, le condamne à la peine de 12 mois dont 8 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans.
Obligations de travailler, de suivre des soins « psychologiques » ( ? on ne comprend pas, ndla ) ou « psychiatriques » et en addictologie ; indemniser la victime. Interdiction de tout contact ainsi que de paraître au domicile de madame, où qu’il soit.
Interdiction de paraître à Autun.
Maintien en détention pour la partie ferme (dont seront déduits les jours de détention provisoire).
« Pourquoi ce maintien en détention ? Pour préparer votre sortie ailleurs qu’à Autun. »
On aurait aimé entendre que le tribunal est conscient qu’un problème de l’ordre de la santé mentale se pose et qu’il demande au centre pénitentiaire de faire le nécessaire pour que cet homme rencontre un médecin psychiatre qui prenne du temps avec lui.
FSA