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> Faits Divers > Tribunal
24/05/2022 14:51
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AUTUN : «La maman qui n'avait pas les moyens d'être maman» avait donné de la méthadone à son bébé

Le bébé pleure, la mère est épuisée. Elle prend le petit flacon, l’approche des lèvres de sa fille. Le nourrisson boit puis s’endort. Ne se réveille plus. La mère, des limbes de son alcoolémie, s’inquiète, appelle les pompiers. L’hôpital d’Autun oriente en urgence le bébé au CHU de Dijon.
C’était le 18 avril 2018. A son arrivée, le bébé était en état de détresse respiratoire et de coma léger. Il est placé en service de réanimation où l’on cherche ce qui le met en danger d’y laisser la vie. Les analyses d’urine parlent : l’enfant a été droguée avec de la méthadone. Sa mère, née en 1990, est à la barre du tribunal correctionnel ce lundi 23 mai, pour répondre de ses actes. « Quasiment un empoisonnement », dira Charles Prost, vice-procureur.

On analyse les cheveux de tous les enfants de la fratrie


Le bébé n’est pas rentré chez lui, il a été placé ainsi que son frère et sa sœur aînés. Leur maman a accouché en octobre 2018 d’une autre petite fille, placée elle aussi. La jeune femme ne se savait pas enceinte, mais voilà. La présidente Catala explique que les cheveux des aînés ont été analysés mais que les traces de méthadone pouvaient provenir d’une contamination de l’environnement, de la sueur de leurs parents, ou de leur linge. Des parents polytoxicomanes dont les bébés avaient reçu un traitement de substitution à leurs naissances.


« Le dossier de madame, c’est son histoire »


Et là... plus de la moitié d’un flacon de méthadone diffusée dans un organisme si jeune, celui d’un enfant de quelques kilos... Bref. Sauf que, comme le plaidera maître Varlet : « le dossier de madame, c’est son histoire ». Elle naît donc en 1990, sa mère meurt jeune, des suites de sa propre toxicomanie. L’enfant est placée de ses 3 à ses 9 ans. Et puis ensuite que fait-on ? Eh bien on la renvoie chez son papa ! Mais oui, absolument. La prévenue gémit : « Je vivais avec mon père, mais il buvait. » Que fait son père pour apaiser sa fille alors qu’elle a 12 ans ? Il lui fait prendre de la méthadone. « Ça me calmait. » 
Quoi de mieux qu’un papounet dans la vie ? La réponse est simple, sauf en France, visiblement : n’importe quel adulte stable et sécurisant offrant à l’enfant un sol ferme et des repères fiables, sera toujours préférable, dans l’intérêt de l’enfant, qu’un parent qui ne sait pas se prendre en charge lui-même. On vit encore à l’ère Disney World, ce monde enchanté dans lequel la famille cellulaire est une sorte d’idéal ravi alors que chaque jour on a des démonstrations implacables du contraire. Les faits sont têtus, les fantasmes le sont aussi*.

Question


La jeune femme se tient à la barre, les bras le long du corps, coudes légèrement pliés et doigts recroquevillés, la tête souvent penchée sur la droite. Cette jeune femme si dévastée qui connait le panel des violences faites à l’enfance, dont le corps lâche déjà sous l’assaut des toxiques, cette jeune femme sacrifiée, oui, bouleverse. Après avoir été ôtée à sa famille, puis finalement renvoyée chez un père qui voulait avoir la paix, certainement carencé lui-même au point de ne pas savoir lui donner ce qu’il lui devait, l’enfant devient adolescente. Question : Qui ? Qui a donné à cette enfant là ce qui est dû à tout enfant ? Qui ?

Enfance en danger, enfance en … quoi ?


De la méthadone, l’ado passe, en toute logique, à l’héroïne, à la cocaïne, et re-méthadone lorsqu’il s’agit de se sevrer. Des cures, elle en a fait plusieurs, mais à l’époque des faits elle prenait tout ça et beaucoup-beaucoup d’alcool. La police avait d’ailleurs signalé le couple, les voyant sur un point de vente de stupéfiants, au Creusot, en plein hiver, avec les enfants à peine habillés. Enfance en danger. Et avec tout ça qu’avait-on mis en place ? Une assistante sociale, depuis 2014. Mais oui. Quoi de plus approprié ? Quoi de plus pertinent ? La présidente évoque une maman « fuyante, très fatiguée », « peu en lien avec les enfants », négligente. On serait fatigué à moins.

C’était la troisième fois


Elle met 7 mois à reconnaître ce qu’elle a fait. Ce n’était pas la première fois, c’était la troisième fois, et ce jour-là, elle lui en a donné davantage. D’un peu de méthadone, elle est passé à beaucoup. « Puis elle lui a donné un biberon », explique maître Ravat-Sandre, qui intervient pour le président du conseil départemental de Saône-et-Loire, puisqu’en France il n’y a pas de politique nationale de protection de l’enfance. C’est le même montage que pour les mineurs étrangers isolés : l’Etat confie ces charges aux Départements - s’en décharge, donc. Quand les enfants deviennent majeurs, l’Etat reprend la main. Une administratrice ad-hoc du CD71 est présente à l’audience, elle s’assure que tous les droits de la petite fille, placée depuis ses 9 mois et qui bientôt soufflera 5 bougies, sont respectés.


« Lors de la visite mensuelle, madame est bienveillante à l’égard de sa fille »


La prévenue voit sa fille une fois par mois, en visite médiatisée, et sur le temps d’un repas, d’un moment de partage, donc. Le placement de l’enfant a été renouvelé pour deux ans, nous apprend maître Ravat-Sandre, « l’enfant évolue bien, et lors de la visite mensuelle, madame est bienveillante à l’égard de sa fille ».
L’expert psychiatre conclut à une altération du discernement de la mère. « J’étais perdue », gémit-elle. Le médecin écrit qu’elle a besoin de « soins en continu ». Aujourd’hui elle dit ne plus prendre que de la méthadone, elle est séparée du papa et quant aux enfants, « je pense qu’ils sont mieux là où ils sont ». Elle vit dans un petit logement avec même pas 1200 euros par mois. Récemment elle a volé du maquillage, et bien sûr reçoit une leçon comme quoi elle finira en prison si elle vole, en plus.

L’extrême violence que d’être pauvre dans un pays riche


C’est sans doute à cause de ce genre de scène que la justice apparaît injuste : les avocats plaident rarement l’état de nécessité parce que les tribunaux leur opposent désormais les associations caritatives ou les banques alimentaires et que donc, si on vous donne une boîte de pâté gratos, vous seriez bien ingrat d’aller chaparder de la nourriture (sans compter les prêches du parquet sur les préjudices des commerçants… qui peut y croire quand il s’agit d’hypermarché et que le préjudice est de 20 euros ? Argument suivant : Ah oui ? Et si tout le monde s’y met ? … E la nave va…). Alors, du maquillage ! Ce superflu ! (Dans une société qui ne vit que de ça par ailleurs). Ces lignes ne sont pas un appel au vol, elles viennent juste pointer l’extrême violence que de vivre pauvre dans un pays riche (ce qui n’engage pas qu’il soit sympa d’être pauvre dans un pays pauvre). Une violence bien abstraite quand on ne vit pas au contact de cette réalité-là. D’ailleurs ce n’est pas « une » violence, c’est plusieurs sortes de violences, et c’est tous les jours. Ne pas oublier, enfin, que la justice est rendue dans le cadre d’une société donnée.


« C’est une maman qui n’avait pas les moyens d’être maman »


Revenons à l’audience. Le procureur requiert la peine de 3 ans de prison assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, « en tenant compte de la personnalité de madame, et de l’altération du discernement », pour « cette qualification peu courante, et heureusement », « des faits punissables de 5 ans d’emprisonnement, quand il n’y a pas d’altération du discernement ». Maître Varlet retrace le parcours de la prévenue jusqu’à ce 18 avril 2018, puis dit quelques mots des suites. « C’est une maman qui n’avait pas les moyens d’être maman. » « Alcoolisation massive, héroïne et cocaïne : c’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de drame avant. Elle n’a fait que reproduire la façon dont elle a été élevée. » A noter : « Elle a appelé les secours. Elle est partie de très loin, et malgré ça, elle continue à se battre, jour après jour. » La prévenue prend 9 médicaments différents chaque jour (dépression, alcool, drogue, etc.) « Elle a perdu un rein, fait des hémorragies fréquentes. » « Prenez en compte la dimension humaine de ce dossier. »

Suivi pluridisciplinaire, pendant 2 ans. 30 mois en sursis, si jamais…


Cette dimension a existé tout au long de l’audience. Le tribunal déclare la jeune femme coupable, retient l’altération du discernement, la condamne à la peine de 30 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire renforcé pendant 2 ans (suivre des soins, indemniser les parties civiles – ça s’annonce coton, la créance provisoire de la CPAM est de 46 000 euros). La présidente insiste : un suivi renforcé, c’est un suivi pluridisciplinaire. La jeune femme écoute, la tête penchée sur son épaule droite. La présidente s’assure qu’elle a bien compris, qu’elle se rendra à la convocation au service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP).
Florence Saint-Arroman

Maître Ravat-Sandre a demandé une expertise médico-légale de la petite fille, pour chiffrer ses préjudices. « A son réveil, à l’hôpital, c’était un bébé en souffrance. » Le tribunal ordonne l’expertise et renvoie sur intérêt civil en fin d’année, ainsi que pour la CPAM.
*On ne dit pas qu’il faut placer tous les enfants… D’autant qu’on voit bien l’immense dégât que sont trop de placements en France, quand ce n’est pas tout simplement une nouvelle maltraitance. On dit que la protection de l’enfance est laissée pour compte, et qu’il faudrait savoir ce qu’on veut.